[PHYSIO] Thibault Guignés témoigne après un sévère accident de plongée « … j’ai fait environ 150 plongées à 100m ou plus en FIM. Lorsque je m’élance pour ma plongée je suis donc détendu et confiant. La plongée s’est très bien passée durant la descente comme durant le début de la remontée. Très bonne sensation et à aucun moment je ne me doute de ce qui m’attend dans les derniers mètres… » Le champion français Thibault Guignés est revenu pour France Apnée sur son très sérieux accident durant l’été dernier alors qu’il plongeait dans les eaux de Chypre. Il évoque dans son témoignage toute la chronologie qui a précédé son accident et tente de donner une explication avec notamment l’aide du comité médical d’experts d’AIDA International. L’objectif de Thibault est de partager son expérience afin de continuer à avancer sur les connaissances relatives à l’apnée profonde. Voici son témoignage : « Lors d’une compétition à Chypre fin Juillet dernier, j’ai été victime d’un accident d’apnée relativement sérieux. Après avoir passé du temps à m’interroger sur les causes, j’ai décidé de partager cette expérience avec le plus grand nombre, suivant l’exemple de Mike Board. En effet je suis convaincu que le partage d’expérience et de savoir est toujours positif pour la communauté des apnéistes. Je suis de nouveau en bonne santé et j’ai recommencé à participer à des compétitions. Je voudrais remercier l’équipe de sécurité de Savvas à Chypre qui a fait un travail fantastique et a réussi à rendre relativement insignifiant un incident qui aurait pu très mal tourner. En effet, 6 minutes après avoir fait surface, j’étais dans une ambulance et 8 minutes plus tard (Pour un total de 14 min après avoir fait surface) je me trouvais pris en charge dans un hôpital moderne. Retour sur l’incident: Après trois semaines d’entraînement en CWT-BF à Kalamata, je plongeais à 110m confortablement dans cette discipline. Au bout d’environ 10 jours d’entraînement j’ai commencé à faire ce qu’on appelle de la polyurie (En bref j’avais besoin d’uriner en permanence, jusqu’à 10 fois par nuit et pareil en journée) Cela s’est manifesté progressivement et j’ai d’abord attribué cela à mon régime alimentaire ou à mon entraînement d’apnée intensif. Après une semaine de développement des symptômes, j’ai considéré que c’était peut-être plus sérieux. J’ai probablement sous-estimé l’importance du problème et voyant deux compétitions se profiler (Une à Kalamata et l’autre à Chypre), j’ai temporisé et pris rendez-vous avec un spécialiste seulement pour mon retour aux Philippines 3 semaines plus tard. Après ma plongée à 110m, j’ai pris 3 jours de repos et annoncé 100m CWT-BF (bipalmes) pour le premier jour de la compétition à Kalamata. Malgré de bonnes sensations durant la plongée, je fus légèrement hypoxique à la surface. L’équipe de sécurité n’a pas eu à intervenir, j’ai validé mon protocole de surface mais perdu connaissance brièvement tout en tenant la ligne. Carton rouge. Je m’interroge sur les causes et met le blâme sur le stress de la compétition et peut être un peu de surentraînement (bien que pas complètement convaincu). J’étais également ému avant et pendant ma plongée car j’avais appris le décès de Sayuri (ndlr : Kinoshita) la veille et peu dormi. Après 5 jours de repos supplémentaires, je décide de retenter la même plongée. Je me sens de nouveau bien durant la plongée et je fais une syncope à environ 12m sans signes avant-coureurs. Je me réveille au bout de 10s sans avoir besoin d’insufflations. Pas d’œdème pulmonaire non plus et une saturation à 99 sur le bateau directement après la plongée. Je m’interroge de nouveau sur les causes, discute avec mes partenaires d’entraînement sur place et la seule conclusion à laquelle nous arrivons et que j’ai dû me retrouver en surentraînement sans m’en apercevoir. Je décide donc de prendre 10 jours complet de repos jusqu’à la prochaine compétition à Chypre. 10 jours plus tard, une fois à Chypre, je fais une plongée à 60m avec un agachon pour vérifier que tout est de retour à la normale. Je me sens très bien durant la plongée et remonte très frais. Je décide tout de même de rester dans ma zone de confort et j’annonce 100m FIM pour le premier jour de compétition. J’ai conscience que la définition de ma zone de confort peut choquer. J’avais déjà réalisé cette année 110m et 114m FIM en compétition, un agachon de 1 minute a 100m et sur les deux dernières années, j’ai fait environ 150 plongées à 100m ou plus en FIM. Lorsque je m’élance pour ma plongée je suis donc détendu et confiant. La plongée s’est très bien passée durant la descente comme durant le début de la remontée. Très bonne sensation et à aucun moment je ne me doute de ce qui m’attend dans les derniers mètres. Aux environ de 25m je commence à sentir que quelque chose ne va pas. Savvas, qui faisait la sécurité profonde pour ma plongée le sent également et décidé de m’assister pour ma remontée bien que je sois toujours conscient (Et je le remercie pour cela). Nous savions tous deux que je ne serai jamais arrivé à la surface proprement et je dis souvent aux apnéistes de sécurité lors des compétitions de faire de même dans mon cas. Je ne leur reprocherai jamais d’être un peu trop dans le sens de la sécurité et de me disqualifier s’ils considèrent que ça ne va pas). Une fois à la surface on me prodigue des insufflations qui s’avèrent inefficaces à cause du laryngospasme qui était très fort. Mon corps entier était d’ailleurs tétanisé. Moins d’une minute après avoir été ramené à la surface je suis évacué sur le bateau à cet effet. L’équipe de sécurité continue à essayer de me faire des insufflations mais le laryngospasme ne se relâche pas. Ce dernier les empêche de m’intuber également. Ils essaient aussi de passer par le nez mais sans succès à cause d’une déviation nasale. Mon pouls est difficile à trouver et l’équipe d’évacuation me prodigue quelques compressions thoraciques. 3 minutes et 15 secondes après avoir fait surface je me réveille enfin. Malgré l’oxygène pur en continu, il me faut me concentrer sur chaque respiration pour ne pas reperdre conscience. Seuls les encouragements de l’équipe de sécurité et l’idée que si je m’endors je pourrais bien ne pas me réveiller me permettent de continuer à respirer malgré l’effort que cela me semble être sur le moment. Désolé pour la partie un peu dramatique mais c’est comme cela que je l’ai vécu. Une fois arrivé au port, je commence à me sentir un peu mieux mais j’ai toujours besoin de l’oxygène et on m’aide a retirer ma combinaison. Cela prendra le reste du trajet en ambulance pour finalement me sentir de nouveau normal au niveau de la respiration. Ne reste qu’une grosse fatigue. Nous avons fait de nombreux test en arrivant a l’hôpital et dans les semaines qui ont suivi. Voici les résultats : Pas de diabète, pas d’infection urinaire, pas de problèmes de prostate (Prostatite, Cancer, Hypertrophie bégnine). Un très léger œdème pulmonaire est détecté (rien sur les radios, un très léger craquement lors de l’écoute des poumons au stéthoscope en arrivant a l’hôpital et qui a disparu trois heures plus tard. Pas de toux ni de crachats). Les reins qui fonctionnent bien. Tests sanguins normaux (Comptage des globules, dosage des minéraux). La seule valeur anormale concernait le potassium avec une carence sévère aussi appelée Hypokaliémie. Nus avons depuis travaillé avec le comité médical d’experts d’AIDA International (Merci encore pour leur aide) pour essayer de déterminer ce qui a pu mener à cet accident. A ce jour, il n’y a pas de conclusion officielle et nous continuons nos recherches. En l’état, je vous présente une explication plausible (Je précise que je ne suis pas médecin) élaborée à partir des entretiens que j’ai eu avec plusieurs médecins et chercheurs. L’hypokaliémie peut causer la polyurie (L’envie fréquente d’uriner). A partir de là on rentre dans un cercle vicieux car on augmente l’élimination du potassium via la miction. L’hypokaliémie se développe et devient modérée puis sévère. Dans ces deux stades, elle peut causer des arythmies cardiaques. Ces arythmies couplées à celles causées par la thermocline (Il s’agissait de ma première expérience d’entraînement profond en eau froide avec un thermocline) et à la bradycardie du réflexe d’immersion ont certainement cause ces syncopes sous l’eau ainsi que la tétanie. Cela explique aussi la difficulté à trouver un pouls sur le bateau d’évacuation. Pour ce qui est de la cause de la carence en potassium, cela demeure une inconnue pour le moment. Cela pourrait provenir d’un changement de régime alimentaire mais surveillant ce que je mange, je me nourrissais d’aliments source de potassium. Nous explorons également la piste d’un complément alimentaire antioxydant que j’ai commencé à prendre à cette période. De l’extrait de pépin de raisins. A ce jour il est cependant difficile d’établir un lien formel. Le fonctionnement des reins peut également être affecté par beaucoup de temps passe dans l’eau. En conclusion, je réalise que je n’apporte pas d’explication complète pour cet accident. J’en retiens néanmoins deux choses : Ne pas sous-estimer des dérèglements qui peuvent sembler insignifiant lorsqu’on s’engage dans des plongées profondes ou de petites perturbations peuvent avoir des conséquences sévères. Peut-être que pour les apnéistes profonds il serait nécessaire de faire des tests sanguins réguliers pour pouvoir détecter les carences éventuelles et les compenser. J’aimerais encore une fois remercier toutes les personnes qui m’ont accompagnées dans mon entraînement à Kalamata et à Chypre et notamment la merveilleuse équipe de sécurité de Savvas ainsi que tous les médecins et chercheurs qui ont consacré du temps pour m’aider à comprendre les causes de cet accident. « octobre 5, 2019 by France Apnée Comments are off 63195 viewson Physiologie de l'apnée Share this post Facebook Twitter Google plus Pinterest Linkedin Mail this article Print this article Next: [SÉCURITÉ / PHYSIO] rapport : « Réflexions sur le BTT et recommandations en matière de réanimations » Previous: Une descente à -100m avec Guillaume Néry
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