[INTERVIEW] Abdel Alouach, à « coeur ouvert » Après une saison 2020 très spéciale en raison de la pandémie, Abdel Alouach a fait un début de saison 2021 très remarqué avec sa plongée à 111m en poids constant bi-palmes (record de France AIDA). Le champion français dont l’immense talent n’est pus à démontrer a choisi France Apnée pour s’exprimer longuement sur ce début de saison et sur les perspectives à venir. Il s’exprime sur notre media à « coeur ouvert » comme il aime le dire. 2021 est l’année du redémarrage mais comment as-tu vécu la saison précédente, fortement marquée par la pandémie ? Avais-tu eu la possibilité de plonger profond ? L’année 2020 a été très compliquée pour beaucoup, mis à part quelques athlètes dans d’autres pays où les restrictions étaient moins drastiques qu’en France, nous avons pratiquement tous subi la pandémie. Cela étant dit je relativise et m’estime quand même un peu chanceux d’avoir pu m’entrainer, même si j’ai du dans l’ensemble modifier, ajuster et adapter mes programmes. Pour les entraînements profonds, j’ai pris la décision radicale au début du premier confinement de mettre en place ma propre structure. Elle me permet de m’entrainer au mieux en m’entourant d’amis très proches. J’ai fait la proposition à mes partenaires, qui n’ont pas hésité une seconde, ça m’a permis d’équiper complètement mon ancien bateau et de mettre en place des équipements de pointes pour des entrainements en sécurité. Mon club, l’Apnéa Club Ajaccien, m’a soutenu également dans tous les sens ainsi que ses membres, mes amis Christophe Dromard, Nicolas Jaouen et ma coach Chantal Marzin. Tous m’ont accompagné sur toute la saison (sécu – entraînements) pour maintenir la forme et pouvoir plonger de plus en plus profond, malheureusement sans pouvoir aller en compétition vu la situation sanitaire. Cette année, les apnéistes du circuit international ont été moins impactés par contexte sanitaire. De ton côté comment as-tu abordé cette saison 2021 ? Quels sont tes objectifs sur l’année ? Cette saison est en fait la suite de la précédente, pas beaucoup de temps de pause j’ai pu m’entrainer grâce au soutien de ma ville Martigues qui me met des moyens importants à disposition mais aussi grâce à l’aide de la ville d’Ajaccio qui m’a également soutenu durant ma période de préparation. La frustration de 2020 et de ne pas pouvoir aller en compétition, a été en quelque sorte bénéfique car ça a permis de garder la motivation et de me lancer très tôt dans la saison. Les objectifs de l’année sont classiques mais néanmoins importants, le NAC (AIDA France) qui est devenu un rituel auquel je tiens, car ça a été ma toute première expérience en compétition (en 2018), le Championnat de France fédéral qui pour moi est incontournable et très important, cela me permettra j’espère une sélection dans les deux circuits afin de participer aux championnats du monde AIDA fin septembre et aux championnat du monde CMAS début octobre . Ton premier grand rendez-vous de l’année fut l’ AIDA Freediving World Cup à Sharm. Comment s’est passé ta préparation, tes entraînements ? A vrai dire cette compétition n’était absolument pas dans les plans, car elle n’a figuré que tardivement dans le calandrer AIDA. Nous en avons discuté avec ma coach et il est apparu comme une évidence de s’y inscrire car chaque mois de mai à la même période nous organisons une semaine de stage dans ce centre. Notre stage a été annulé pour les raison sanitaires mais de toute façon nos billets et réservation étaient prévus. La seule contrainte restait d’être prêt, et de pouvoir s’entraîner profond. Nous avons donc du commencer tôt dans l’année dans le golfe d’Ajaccio avec des conditions qui n’étaient pas toujours facile. Venons-en à la compétition de Sharm el Sheikh. Le premier jour tu renonces à plonger, peux-tu nous expliquer pourquoi ? Il n’y a pas de raison très complexe, cela fait plusieurs années que je vais à Sharm pour m’y entrainer et enseigner; la phase lunaire de cette semaine ( fin du mois lunaire, nouvelle lune) induit généralement pas mal de perturbations. De plus toute la semaine précédente nous avons eu pas mal de thermiques dues aux très fortes chaleurs, avec parfois beaucoup de clapot, et par moments du courant. Aussi j’ai dû tourner par deux fois aux entrainements, car trop de courant, mais j’ai aussi fait de très belles perfs. J’ai donc fait mon annonce en me donnant la possibilité du « no show » si je ne me sentais pas d’y aller. Le matin même j’ai ouvert la fenêtre à 7h pour regarder la mer, l’envie de rester au lit était plus forte (rires). J’ai envoyé un petit mot au coach qui avait le même sentiment, ce n’était pas le bon jour Le deuxième jour, tu annonces un record de France (pour le circuit AIDA) avec une plongée à 111m en poids constant bi-palmes. On est bien sûr sur une perf qui dépasse la dimension nationale puisqu’elle te positionne à 2m du record du monde absolu ; celui d’Alexey Molchanov avec -113m. Peux-tu nous parler de cette plongée ? Je ne vais pas romancer et faire de la dentelle sur cette performance même si elle est hors norme, tout le monde me le dit, mais il faut rester humble. Une performance comme celle-ci se construit des mois en amont, vous imaginez bien qu’on ne décide pas d’aller à l’assaut d’une telle profondeur sans avoir tout préparé jusqu’au dernier détail. Pour dire vrai, cette performance est le fruit de toute la saison 2020 où j’ai travaillé spécifiquement la discipline, beaucoup de travail spécifique et une refonte technique complète, pour être dans une dynamique de maitrise et non pas dans un processus hasardeux. Vous imaginez donc le nombre de plongées réalisées en entrainement, pour pouvoir annoncer 111m. L’annonce donc était bien préparée depuis plus d’un mois, et on savait exactement quand. Après avoir rongé mon frein le premier jour, le jour 2 de la compétition était plus calme, tant l’ambiance que les éléments. Au moment de mon passage pas mal de clapot mais un câble bien droit, à peine un petit courant de surface mais insignifiant, l’eau est super claire et un calme bienveillant règne sur la plateforme. Il faut dire que l’équipe d’organisation et de safety sont extraordinaires. Je blague d’ailleurs volontiers avec eux dès mon arrivée, un super moment de partage. A 3 minutes du top départ plus rien n’existe pour moi, seul le câble, le décompte et une profonde satisfaction d’être là. Tout est comme du papier à musique les dizaines de répétitions forgent une assurance sans faille. Le reste n’est que répétition : canard, départ, verticalité, relaxation, des éléments profondément encrés, et que j’enseigne même tout le temps. Je reste concentré jusqu’au bout, arrivé au tag je sais que c’est fait, je n’ai alors pas le moindre doute et la seule chose que je me dis, il ne faut absolument pas t’enflammer, pas d’euphorie »fais ce que tu as fait à tout tes entrainements », la routine technique s’installe. Arrivé aux apnéistes de sécurité, c’était assez machinal, sortie propre avec comme toujours un grand sourire. Après que tu aies validé cette plongée, on a très vite compris que tu irais chercher le record du monde. Comment gère-t-on dans sa tête l’effet d’une telle annonce ? Pourquoi avoir annoncé 115m ? 114m aurait été également un record du monde absolu ? Pour nous la validation de cette perf à 111m était un objectif atteint, je n’avais pas forcement besoin d’aller chercher le WR, mais dans la journée ça a fait son chemin. Plusieurs fois durant les deux jours qui ont suivi nous avons analysé et décrypté mes plongées précédentes et celle que je venais de réaliser. Tout portait à confirmer que le WR était à ma portée mais que les conditions allaient jouer un rôle important. Il suffisait juste de bien se reposer et de faire ce que je savais faire de mieux. Le chiffre n’a pas d’importance pour moi depuis que je fais de l’apnée je ne cherche pas à battre les autres ou les records des autres, je ne cherche pas non plus à être le meilleur cela ne m’intéresse pas. Donc le choix du chiffre a été plus un coup de cœur qu’un record absolu, c’est un chiffre qui me fait rêver, tout comme le 111, en 2019 je pouvais faire plus que ça en FIM, mais j’ai craqué pour le »triple one ». L’apnée c’est aussi ça , une partie de fun que je n’arrive pas trop à expliquer. A France Apnée, on était persuadé que ce record te tendait les bras car tu avais physiquement les moyens d’aller le chercher et que les 111m du début de semaines t’avais mis en confiance. Pourtant ce n’est pas passé. Peux-tu nous expliquer pourquoi ? Vous avez eu tout à fait raison (rire) ; je pense que les 115 étaint tout à fait à ma portée, on savait que cette perf allait être compliquée à gérer tant émotionnellement que physiquement, car en moins de deux semaines j’ai enchaîné vols et voyage depuis la Corse où je m’entraînais, et plusieurs plongées à 100m et plus. Mais dans l’ensemble tout a été très bien géré, reposé et concentré, mais il y a des choses que l’on ne maitrise pas. Le jour de la perf, nous arrivons coach et moi en simultané. Chantal arrive à la plateforme un instant avant moi, mais je suis dans ma bulle et je nage sans trop regarder autour de moi, d’un coup ma coach revient vers moi les yeux écarquillés, elle me lance « laisse tomber Abdel c’est même pas la peine on rentre à la maison » et elle tend le bras en me montrant les bouées d’échauffement. Un courant comme on en voit pas souvent chez nous, mais pourtant habituel là-bas. Je suis un peu déçu mais c’est le jeu, on savait de toute façon que les conditions allaient être très variables. On se cale sur un des pads de préparation et on se regarde au moins pendant deux minutes, puis je brise le silence, et pourquoi pas essayer ? qu’a-t-on a perdre ? elle m’a arrêté au début mais ayant rapidement réfléchi elle revient vers moi, on a alors fait une déduction très pragmatique. Soit le courant s’arrêtait à maxi 40m et il n’y aurait donc pas de soucis car largement maitrisable pour moi, soit le courant était plus profond et à ce moment je devais être lucide et tourner comme je l’ai fait plusieurs fois au cours des entrainements. Quoi qu’il en soit on sait que ma capacité hypoxique me permet de toute façon de réaliser de longues plongées. Nous décidons donc d’un commun accord de tenter la plongée, et ce fut le cas. Seulement le courant était beaucoup plus profond que ce que je pensais arrivé à environ 80m j’ai décidé d’aller au bout et de tout donner à la remontée. Mais malheureusement le courant était trop fort et trop profond, je ralentis à partir de 83m puis je suis fortement freiné à partir de 60m je fournis trop d’efforts et dépasse le temps prévu de près de 30’’ à l’arrivée du premier safety. Je suis super confiant je lui fais signe que tout va bien mais dans les 5 derniers mètres je sais que ça sera très dur, je sors pourtant bien face aux juges je ventile mais pas assez pour réaliser mon protocole. Outre ton record de France à 111m, que retiens-tu de cette compétition en mer Rouge ? Le retour à une vie normale, la vie normale nous manque et nous nous rendons compte dès que nous sortons de France. Les masques ,les protocoles, la méfiance, et tant de choses se sont infiltrés dans notre vie depuis ce foutu covid, et l’apnée en souffre comme d’autres sports. En apnée et en terme de performances, beaucoup de données brutes à analyser et la confirmation que mes programmes de préparation ont bien marché. Pour la perf en elle-même aucun regret, beaucoup de fierté, et la sensation de réussir quelque chose de grandiose pas juste pour moi mais pour tous ceux qui m’ont accompagné depuis plusieurs mois dans mes projets. On sait que ta coach, Chantal Marzin, a un rôle important dans ta vie d’athlète ? Peux-tu nous évoquer le duo sportif que vous formez ? Comme dans tous les sports il ne vous suffit pas d’être doué pour réussir à performer, ou du moins en étant doué il vous faut l’œil extérieur qui vous apporte la vue d’ensemble ou de détail qu’il vous manque. Un coach est un élément indispensable dans tous les sports et nul ne peut être le coach de lui-même. Mais au-delà, la confiance est un point fondamental dans la relation coach athlète, une fois cela trouvé la progression est inévitable. Chantal est la conscience que je n’ai pas lors de mes entrainements un peu poussés ou lors que je suis euphorique de mes exploits aux entrainements. Elle arrive à voir les erreurs , les fautes, ou à savoir quand il faut simplement faire un break. Bref un coach . Récemment tu as répondu à une petite interview de la commission nationale d’apnée de la FFESSM. Tu y évoques ton début de saison, ta préparation. En revanche il n’y a pas un mot sur ta compétition à Sharm, ta plongée à 111m, à 115m… Cette session en Mer Rouge était pourtant importante dans ta progression et les plongées à venir. Est-ce qu’en 2021 c’est encore tabou d’évoquer le circuit AIDA quand est un apnéiste également fédéral ? J’ai été félicité par certains encadrants de la fédération, d’autres ont préféré ne rien dire, de la même façon certains cadres de AIDA France m’ont félicité alors que je n’ai pas reçu de mots d’autres. Les deux groupes jouent à un jeu, je n’en fais pas partie, mon jeu c’est l’apnée et ça se passe entre moi et moi-même. Tous les initiés savent qu’il y a une guerre entre les deux entités, j’ai pris la décision de m’en éloigner, je n’ai besoin du discours d’aucun des deux pour exprimer ce que je fais. Je continuerai à donner un max pour l’apnée et me fous de quel bord il s’agit. On va prochainement te retrouver de côté de Villefranche pour le NAC et le championnat de France. Quels seront tes objectifs sur ces compétitions ? Je n’ai pas d’objectif particulier si ce n’est d’être sacré champion de France car c’est un titre qui me manque, retrouver les amis et l’ambiance de la compétition à Nice qui est géniale aussi, ça me manque. Sur France Apnée on a assisté à un véritable engouement pour ce que tu fais, ce que tu dégages…Es-tu conscient du capital sympathie qu’il y a autour de toi ? Que souhaiterez-tu dire à nos lecteurs qui se sont largement enthousiasmés pour toi pendant ta compétition à Sharm ? J’ai toujours du mal à me voir comme une « star », c’est compliqué pour moi de le concevoir, et je ne m’en considère pas comme tel. Je suis un gars super motivé, amoureux de la mer et de l’apnée. Je partage sans problème et j’aide au plus que je peux. Je reçois beaucoup de messages, cela me touche énormément, non pas parce que je suis considéré comme un champion une star ou un extraterrestre, juste parce que beaucoup me considèrent comme normal, comme juste un gars qui en veut, qui travaille dur, qui met les moyens, en temps en énergie, en sacrifices, et qui y arrive. Ce gars eh bien il est comme tous et n’importe qui peut y arriver comme lui. C’est ce qui me touche le plus, pas d’être différent mais d’être comme tout le monde mais avec une volonté de fer. Pour cela je voudrais dire à tous vos lecteurs, « croyez en vous », ayez la force et le courage de croire en vous et de réaliser vos rêves. Il n’y a pas de surhomme ni de demi dieu, sculptez vous-même votre futur et votre destinée. Travaillez, entrainez vous donnez le max avec énergie et vous y arriverez, le chiffre, les profondeurs ce n’est pas le plus important, juste votre satisfaction de réussir ce dont vous avez rêvé de réaliser. photo: Denys Rylov interview réalisée par Charlotte Jude – France Apnée juin 2021 photographies : Alice Cattaneo (sauf mention contraire) 2021 juin 14, 2021 by France Apnée Comments are off 20765 viewson Interviews Share this post Facebook Twitter Google plus Pinterest Linkedin Mail this article Print this article Next: [INTERVIEW] Abdel Alouach, à « coeur ouvert » Previous: Manuel d’exercices pour améliorer son apnée [ tome 1 & 2]
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