INTERVIEW [2/2] : Guillaume Néry ou l’engagement par l’image / 2019 Si la première partie de notre long entretien avec Guillaume Néry était consacrée à l’athlète et notamment à son retour à la compétition. La seconde partie aborde cette fois la carrière artistique du champion d’apnée. De Free Fall à One breath around the world, en passant par Ocean Gravity, Guillaume Néry s’est révélé comme un maestro de l’image sous-marine notamment grâce à la complicité qu’il a avec sa compagne Julie Gautier. Aujourd’hui, plus que jamais, Guillaume met sa notoriété acquise par l’image au service de la défense de l’environnement. Ses prises de position sont de plus en plus engagées même si cela n’est pas sans risque. A travers ses différentes actions professionnelles et personnelles Guillaume a notamment fait de l’éco-responsabilité sa ligne de conduite au quotidien. *** Guillaume, depuis ta « retraite » internationale de 2015, on t’a vu parcourir le monde et on te sent aussi de plus en plus impliqué dans la protection de l’environnement. As-tu envie d’utiliser davantage ta notoriété médiatique pour faire passer certains messages ? Je fais très attention avec ce rôle d’ambassadeur de l’environnement parce que c’est très compliqué d’être porte-parole. Il ne faut pas tomber dans le rôle du donneur de leçons car pour ça il faut être irréprochable; ce que je ne suis pas. Je considère que j’ai encore tellement de choses à améliorer. Le message, je le fais passer de manière émotionnelle, subtile et sans prendre le micro pour dire » il faut sauver l’environnement ». Je pense que c’est un enjeu qui est tellement grave qu’il ne faut pas le prendre à la légère et aujourd’hui l’ampleur est tellement compliquée, énorme, que je n’ai pas envie de me positionner comme un donneur de leçons auprès du grand public. Cela se joue tellement sur une grande échelle que je ne veux pas faire le moralisateur car je ne suis pas irréprochable. J’ai déjà conscience de prendre beaucoup trop l’avion. Si tout le monde vivait comme moi ça serait une catastrophe! Je veux bien admettre que j’ai ce privilège de pouvoir voyager mais c’est une forme de mission d’aller dans tous ces endroits pour témoigner. Ces témoignages peuvent bouleverser notamment les nouvelles générations. Je ne mets pas forcément des mots sur ces témoignages; j’y mets plutôt de l’émotion. Quand on passe par l’émotion on touche plus facilement le coeur des gens. D’ailleurs le dernier film » one breath around the world » c’est un hymne à la majesté du monde sous-marin. C’est un peu comme une fable. De plus j’essaie de faire passer des messages montrant notamment le lien qu’il y a entre l’eau et toutes les formes de vie. Cette eau qui est juste là à portée de main. C’est pour cela qu’au début du film je suis sur une plage avec plein de gens. Ce monde est là… juste sous la surface. Le message doit d’abord se faire de manière douce et subtile et non pas avec des grands mots et des grands discours. Pour moi les grands mots, les grands discours ne sont pas suivis d’actes forts. Ils ne sont pas convaincants. Le jour où je dis « j’arrête tout », où je ne prends plus une seule fois l’avion ce sera parce que la situation sera trop grave. Là peut-être que je me sentirai avoir les épaules pour être un exemple à suivre. Pour l’instant je m’en tiens au rôle de témoin et de donneur d’émotion. J’ai une conscience assez élevé de ce qui est en train de se passer et je suis très triste et inquiet. Guillaume Néry, un habitué des plateaux de télévision A titre personnel, qu’as-tu modifié dans ton mode vie pour être en adéquation avec les questions environnementales qui te sont chères ? A titre personnel mon rêve ça serait de ne plus prendre l’avion. Je me dis qu’un jour peut-être je vais arrêter de parcourir le monde, me concentrer sur ce qu’il y a autour de chez moi et de décider vraiment de l’endroit où je veux vivre. Là ce sera un bel exemple fort . Actuellement je réfléchis à tous mes déplacements. A titre d’exemple je refuse beaucoup de sollicitations. Et notamment des déplacements professionnels surtout quand cela n’a pas de sens. Je refuse des conférences, des salons … Quand c’est trop loin et que ça n’a pas de sens, je ne me déplace plus même si je pourrais être potentiellement payé ou faire de la promotion. Il y a donc dorénavant beaucoup de changement mais ce n’est pas encore assez. Autre changement fort c’est dans le domaine bancaire. J’ai souhaité aller vers un système bancaire plus équitable. Dernière acte fort, sur le plan de l’alimentation cette fois, j’ai décidé depuis quelques mois d’arrêter de manger des mammifères. Donc plus de viande rouge ! Je considère d’abord que les animaux ont un degré de conscience important; assez proche du notre. Je suis très sensible à la souffrance animal. Ce qui se passe aujourd’hui dans la maltraitance animale est affreuse. Cela n’a plus de sens aujourd’hui de manger de la viande notamment à cause de l’élevage intensif qui détruit la planète et qui participe aussi à détruire l’humain. Ne plus manger de mammifères ce n’est pas pour l’instant devenir végétarien. Je n’ai pas encore franchi le pas. Je pense que tout le monde devrait arrêter de manger de la viande ou en tout cas réduire sa consommation de manière draconienne. En revanche si un jour je suis invité par un paysan qui a élevé et tué lui-même sa bête; alors peut-être que je pourrais manger cette viande car je ne suis pas extrémiste. Ça pourra peut-être m’arriver une fois dans l’année; ça serait alors une consommation intelligente et raisonnée. Depuis ton retour début 2019 de Polynésie où tu as passé cinq mois avec Julie et ta fille, tu enchaînes de grosses actu’. Commençons par « Bluenery » ta ligne de vêtement. Comment est né ce projet ? De quelle est la philosophie de « Bluenery » ? Par quels moyens vas-tu diffuser ces vêtements ? Est-ce que cette ligne de vêtements sera particulièrement dédié à la communauté des apnéistes ou penses-tu toucher un plus large public ? Bluenery est né en 2017 pendant qu’on était en plein voyage autour du monde pour tourner le film One Breath around the world. Nous sommes passés par la Thaïlande et là nous avons rencontré Bastien Soleil. Nous avons commencé à discuter avec Bastien qui trouvait étrange que je n’avais pas de tenues à mon effigie que je pourrais proposer à mes « fans » lors de stages. Et là je l’ai arrêté tout de suite et lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas. Avoir ça juste pour faire du business avec des vêtements de mauvaise qualité c’était hors de question. Bastien était d’accord avec mon point de vue. La discussion a donc évolué pour arriver à l’idée de faire une marquer à condition que le projet soit pensé de A à Z dans une démarche la plus éco-responsable possible , sans ménagement et sans petits arrangements. On ne fait pas de l’éco-responsable pour faire du marketing et parce que c’est à la mode. On le fait par conviction ! C’est comme ça qu’est né le projet. Bastien s’est occupé de le développer car ce n’est pas mon métier de faire des T-shirts, des sweets, des vêtements… Je ne voulais pas perdre mon énergie pour quelque chose pour lequel je ne suis pas fait; mais l’idée me plaisait. Nous avons donc décidé de faire une marque pour les apnéistes quand ils sortent de l’eau . C’est à dire proposer vous une gamme complète pour les apnéistes quand ils sont sur terre de afin de renforcer leur sentiment d’appartenance à la famille des apnéistes éco-responsable. Ces produits sont destinés aussi aux amoureux des océans désireux de liberté de mouvement. Il faut que ce soit une seconde peau pour tout faire avec, et notamment des étirements. Au début on s’adresse aux apnéistes car c’est la communauté qu’on a envie de toucher mais l’idée d’être éco-responsable ça n’a pas de frontières et tous les amoureux des sports « outdoor » peuvent être sensibles et touchés par Bluenery. Nous allons mettre en vente cette gamme de vêtements en Europe et en Asie. En Europe la livraison se fera directement car elle doit pouvoir se faire sans avion. La question du transport est importante dans la problématique de l’éco-responsabilité. En Asie on enverra une partie de la marchandise et il y aura un point central qui redistribuera dans les « shop » d’apnée. Ces derniers temps tu as bénéficié d’une grande exposition médiatique (télévision, presse, réseaux sociaux) notamment liée à la sortie de ton nouveau film « one breath around the world ». Comment vis-tu cela ? La sortie du livre » à plein souffle » et du film » one breath around the world » m’ont mis devant les projecteurs. Avec Julie (Gautier) nous avons eu beaucoup de sollicitations . Toutefois j’ai un peu l’habitude car lorsque j’avais sorti mon livre « Profondeurs » en 2014 j’ai peut-être fait plus de promo. J’avais été invité notamment chez Ardisson ou sur le 20h de Laurent Delahousse. Je gère ça plutôt bien. J’ai pris beaucoup de recul par rapport à ça. Je fais ce qu’il y a à faire et je ne cherche pas à être particulièrement plus présent. Mais il faut reconnaître que cette année avec toute cette actualité je me suis beaucoup exposé. J’essaie quand même de faire attention pour faire de la qualité. Je suis bien entouré aussi pour gérer tout ça. Ce qui a été très difficile c’est le contraste après cinq mois en Polynésie. Là-bas j’étais très occupé à travailler sur tous les projets et j’étais loin de toutes sollicitations bien qu’une fois j’ai dû me lever à 2h00 du matin pour faire une interview en direct à la radio. Le temps passé en Polynésie m’a fait prendre du recul par rapport au monde médiatique. Le séjour en Antarctique a été incroyable aussi avec quatre semaines sans connexion pour être au contact direct avec la nature. Peu après sa sortie sur internet, « one breath around the world » s’est révélé être un vrai phénomène. Est-ce que tu t’attendais à un succès aussi fulgurant ? Le film a démarré fort ! Après l’avoir montré à mon entourage et après l’avoir montré aussi dans des avant-premières, les retours ont été excellents. Je savais donc que le film allait plaire car il touche beaucoup. Par contre la où j’avais une grosse interrogation c’est par rapport à Internet et à la longueur du film qui fait 12 minutes. C’est un peu long ce format dans cette ère du zapping ! Je m’étais dit que ça serait plutôt un film pour le grand écran. Pour Internet il y aurait les vrais passionnés et les autres décrocheront… Finalement je me suis trompé. Et c’est une bonne surprise! [ndlr : début juin, soit cinq mois après sa sortie, le film a été vu presque 5 millions de fois sur la chaine Youtube de Guillaume Néry] C’est la première fois que tu es aussi impliqué dans une de tes vidéos puisque tu as écrit et dirigé ce court métrage. Comment est né le projet « one breath around the world » ? Ce n’est pas la première fois que je suis aussi impliqué. Pour Freefall et Ocean Gravity j’étais aussi très investi. C’était des idées qui étaient nées aussi dans ma tête. J’avais le scénario, les plans… Mais là c’est la première fois que j’ai fait quelque chose de cette importance. Il y a les films sur lesquels j’ai le leadership et d’autres non (car on fonctionne comme ça avec Julie. L’un de nous deux a toujours la main sur un projet… Julie avait par exemple la main sur Narcose ou Runnin’ tandis que moi c’était sur Freefall et Ocean Gravity). « One breath around the world » est un plus gros projet car étalé sur plusieurs mois de tournage à différents endroits. Le pari était plus osé, plus stressant. Nous avons toutefois continué à fonctionner à notre manière c’est à dire en petit comité même si nous avons eu beaucoup de gens qui nous ont aidés un peu partout. Ça a été extraordinaire; une superbe énergie que de pouvoir réunir tous nos amis apnéistes aux quatre coins du monde pour nous aider dans ce projet. Mais le nerf de la guerre, je le souligne, c’est Julie et moi. Et nous avons fonctionné comme on l’a fait sur les projets précédents. Le tournage été parfois compliqué comme par exemple les fois où j’étais poumons vides. Mais c’est vraiment passionnant de voir se construire un projet; de voir qu’une utopie finit par se concrétiser ! Quant à la naissance du projet; après Freefall (dans un « trou ») et d’Ocean Gravity (dans le courant), j’ai continué à avoir envie de montrer des endroits atypiques. Rapidement est née l’idée d’une odyssée. J’ai par contre mis du temps à trouver la forme. Long-métrage, film court, des épisodes … ? Et donc en 2017 nous avons décidé de partir pour ce périple dans un format familial. L’une des scènes phares du film est celle avec les cachalots. Peux-tu nous raconter comment s’est passé le tournage de cette scène et qu’est-ce que tu as ressenti pendant ce moment de grâce ? C’est en fait la première scène que nous avons tournée. A ce moment-là nous habitions la Réunion, aussi l’île Maurice où nous avons tourné c’est juste en face. J’avais une idée assez précise de ce que je voulais faire avec les cachalots. Pour moi c’est un mammifère emblématique des apnéistes car il est capable d’aller à plus de 2000 mètres en apnée. Sa forme est spectaculaire; on a l’impression d’avoir une bête à la fois spatiale et aquatique. Je voulais entretenir le mystère autour de cet animal et mélanger les univers (le spatial et l’aquatique). Il y a quelque chose du rêve, de la fable, du conte dans cette scène avec les cachalots. Ce qui est difficile quand on fait de l’animalier c’est qu’il faut que ça colle à l’histoire et au voyage que je souhaite raconter. Avec les cachalots nous avons eu une part de chance notamment sur le dernier jour de tournage car on a pu être intégré au groupe. Nous avons fait toutes les scènes que nous avons voulu notamment cette scène où les cachalots sont en train de dormir. J’avais cette scène en tête, j’en rêvais ! Je m’étais dit que ça serait magnifique et puis cela a fonctionné ! Les voir dormir en chandelle, en monolithe cela nous donne une scène hors du temps où on a l’impression d’avoir un vaisseau spatial en « stand by » comme dans le film Premier contact. Julie a été extraordinaire car nous n’avions qu’une seule chance pour faire cette scène. Son mouvement de caméra a été parfait. Dans de nombreuses scènes de « one breath around the world » on a l’impression que tu fais de l’escalade… la notion d’appui est récurrente (à l’inverse d’ Ocean Gravity). Est-ce un clin d’oeil à Loïc Leferme ? Il y a effectivement des scènes de grimpe, d’appui mais ce n’est pas un hommage à Loïc. C’est plutôt dans la continuité de ce que j’ai déjà fait c’est à dire avoir des comportements de terriens : marcher, courir, de grimper, sauter… Ce sont des comportements que j’aime faire même en dehors de la caméra. Tout cela raconte ce rapport que j’ai avec l’eau. Un rapport de jeu, un rapport spatial, un rapport aérien, un rapport terrien. C’est vraiment pour raconter tout ce mythe de l’homme aquatique qui permet aux gens qui regardent mes films de s’identifier en tant qu’humain. J’essaie de ne pas être un plongeur, ni un nageur mais bien un humain. Un humain qui va dans l’eau ! Par conséquent j’avance comme un humain et c’est pour cela aussi que les films fonctionnent bien. En revanche, mon clin d’oeil à Loïc serait plutôt de lui dédicacer ma carrière et notamment mon virage artistique. Il a été une inspiration infinie pour moi. Loïc était un artiste, musicien et réalisateur de films. C’est à ses côtés que j’ai commencé à mettre un pied dans cet univers avec notre documentaire Bleu Afghan tourné en 2003. Ensemble nous réalisions nos clips / nos films pour promouvoir nos records. Loïc m’a accompagné, il m’a aidé à réaliser ce rêve de vivre de ma passion en me transmettant son inspiration. Aujourd’hui, je peux dire que je lui dois beaucoup. http://www.franceapnee.com/wp-content/uploads/2019/06/Bleu-Afghan-Leferme-Néry.mp4 Et ta dernière expédition, cette fois en Antarctique. Peux-tu nous en dire plus sur cette dernière aventure ? Le projet Antarctique j’en étais pas à l’origine. C’est le photographe Greg Le Coeur et Forian Fisher de « Behind the mask » qui m’ont convié à venir plonger avec eux d’autant que cela faisait un moment que je voulais plonger en Antarctique. J’aime cette idée que cela reste un des derniers territoires assez peu exploré. Et le fait d’y aller aussi en voilier avec une pointure dans ce milieu c’était aussi une manière noble d’aller explorer ce milieu extraordinaire. Je voulais également contraster avec la Polynésie car j’aime aussi plonger dans le froid. L’ambiance des territoires froids me fascine. L’idée c’était d’aller plonger au contact de la faune et la flore exceptionnelle de l’Antarctique et notamment d’aller à la rencontre des léopards de mer. Pour moi c’était avant tout de vivre un grand moment de connexion avec le milieu sous-marin avec la nature brute. J’ai tenu durant ce périple un journal de bord pour partager avec des mots car j’aime aussi écrire il y aura prochainement du texte, des photos et des vidéos. Malgré le caractère lointain de l’Antarctique, l’objectif de cette expédition était aussi de montrer, de témoigner que c’est un territoire qui subit de plein fouet l’impact de l’homme. C’est triste, mais nous constatons qu’il n’y a plus nul part sur terre des endroits où l’homme n’a pas d’empreinte. Voir, raconter, témoigner : c’était le but de cette expédition. http://www.franceapnee.com/wp-content/uploads/2019/06/ANTARCTICA-has-this-mythic-weight.-It-resides-in-the-collective-unconscious-....mp4 Un entretien réalisé avec Nicolas Proquin pour France Apnée / 2019 Pour lire ou relire la première partie de l’interview : Guillaume Néry et la compétition en profondeur https://www.franceapnee.com/actualites/interview-12-guillaume-nery-et-la-competition-en-profondeur/ juin 4, 2019 by France Apnée Comments are off 96586 viewson Apnea Legend, Environnement, Interviews Share this post Facebook Twitter Google plus Pinterest Linkedin Mail this article Print this article Next: COMPÉTITION : 4ème Open de Lyon [2019] Previous: GLON Catherine
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