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INTERVIEW EXCLUSIVE : Guillaume Néry sur France Apnée


Guillaume Néry 
photo : Ian Derry

PART I : Guillaume Néry, côté sport

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Nous n’allons pas vous faire une biographie exhaustive de Guillaume Néry car elle serait un peu longue (pour cela nous vous invitons à lire son ouvrage « Profondeurs » aux éditions Glénat) mais nous ne résistons pas à vous rappeler une partie de son palmarès. Guillaume Néry c’est 4 records du monde en poids constant / CWT de 2002 à 2008, un titre de champion du monde par équipe en 2008 avec Morgan Bourc’His et Christian Maldamé et aussi un titre de champion du monde individuel en poids constant en 2011 avec -119m CWT. Rappelons aussi que le Niçois est l’actuel détenteur du record de France AIDA de poids constant avec -125m CWT en 2013, ce qui le place à seulement trois mètres du record du monde actuel détenu par Alexey Molchanov.
Après 14 ans à tutoyer les abysses en apnée, Guillaume a choisi de faire un break cette année. Plus disponible pour répondre à divers sollicitations, pour notre plus grand plaisir, le champion français a accepté de s’entretenir avec France Apnée.
Nous publions aujourd’hui la première partie de notre interview, celle-ci sera davantage tournée vers le « côté sport » de Guillaume.

FRANCE APNEE: Guillaume, on ne t’avait jamais autant vu dans les media que cette année pourtant tu n’as pas fait compétition / pas record… Besoin de faire un break ?
GUILLAUME:
Depuis 2000 et mes débuts dans la compétition et le haut niveau, j’ai consacré chaque année à la préparation d’une saison de compétitions ou à une tentative de record du monde. Je l’ai toujours fait avec passion et plaisir mais un tel engagement demande beaucoup de sacrifices. Cela fait 2-3 ans que je pense à cette idée d’alterner une année de compétition et une année plus dédiée à ma famille, aux autres projets et aux autres passions. J’ai donc choisi l’année 2014 pour tenter le coup. Au final, j’ai été encore plus sollicité et surbooké que toutes les années précédentes, mais j’ai pu au moins me consacrer pleinement à toutes les sollicitations et projets sans culpabilité!

FRANCE APNEE: Penses-tu revenir l’an prochain et participer éventuellement aux mondiaux individuel outdoor AIDA ou le break va-t-il se prolonger ? As-tu des projets précis sur le plan sportif pour la saison à venir ?
GUILLAUME:
Cette coupure m’a permis de prendre un peu de recul avec cet univers de la performance, pour tenter de comprendre mes réelles motivations. Je me demandais si j’allais plus ressentir une frustration ou un soulagement. Au final, je réalise que j’aime ces grands rendez vous, ou toute la famille de l’apnée se retrouve pour célébrer une passion commune. Mais je sens que mes aspirations évoluent avec le temps. La quête des profondeurs devient vraiment très personnelle et l’envie d’être champion du monde ou de battre le record du monde ne sont vraiment plus mes priorités, alors que ce sont des objectifs possibles et à ma portée. Oui je compte revenir l’année prochaine avec l’envie de progresser, avec une quête de la maîtrise de la performance très personnelle. Je pense participer à une compétition internationale et aux championnats du monde AIDA. Si j’arrive à atteindre -126m ou -127m, à 1 mètre du record du monde, je serais très heureux. Il y a encore 5-6 ans, l’idée m’aurait rendu dingue de frustration!

FRANCE APNEE: Il y a quelques jours se sont terminés les championnats du monde par équipe en Sardaigne (rappelons qu’en 2012 lors des précédents mondiaux tu étais vice-champion du monde avec Morgan Bourc’His et Fred Sessa). Cette année la France n’a présenté aucune équipe (autant chez les filles que chez les garçons). Quelle est ta réaction? N’est-ce pas dommage pour le pays fondateur de l’AIDA ?
GUILLAUME:
Tout est cyclique dans la vie. Chez les garçons, il y a eu la première génération des Chapuis-Pradon-Heuleu etc… des premiers championnats du monde en 1996 jusqu’en 2001. Puis aucune équipe de France en 2004. Une nouvelle génération s’est installée aux commandes de 2006 à 2012 avec Morgan Bourc’his, Christian Maldame, Fred Sessa, Cyril Paulet (le coach) et moi-même. Nous sommes dans une période de transition avec l’arrivée des nouvelles générations (Guillaume Bussière, Stéphane Tourreau, etc.)… La transition s’est faite un peu trop brutalement d’ou l’absence d’équipe cette année. C’est dommage bien sûr mais il y a peut être des questions à se poser au niveau international sur le format de ces championnats du monde qui séduisent moins qu’avant. En tout je ne
m’inquiète pas du tout, la relève est bien là!

FRANCE APNEE: Guillaume, tu n’as pas fait de compet’ depuis plus d’un an pourtant on dirait bien que tu es en grande forme physique! On t’a vu il y a quelque temps en compagnie notamment Morgan Bourc’His pour gravir le Mont Ventoux en vélo. Peux-tu nous raconter ta montée du Géant de Provence? Néry et le vélo c’est une longue histoire, n’est-ce pas?
GUILLAUME:
Un break dans la compétition n’est pas un break dans l’entraînement. J’aime le sport, j’aime m’entraîner pour le plaisir et je le ferais toujours. Ce break m’a permis de passer un plus de temps à pratiquer mes 2 autres passions nature, montagne et vélo. A l’âge de 4 ans, je faisais déjà des belles randos avec mes parents. Ils m’ont transmis l’amour des grands espaces et de l’effort. Puis à l’adolescence, j’ai fait beaucoup de vélo. Depuis, j’utilise ces 2 activités pour ma prépa physique, l’alliance parfaite plaisir-efficacité.
Cet été j’ai fait quelques sorties montagnes bien physiques (plus de 3000m d’altitude et plus de 2000 D+), ainsi que quelques sorties vélo, avec à chaque fois ma fille dans le dos ou le siège bébé. Ca m’a donné une très bonne caisse en peu de temps! Du coup, j’ai suivi Nicolas Proquin dans son défi annuel du Mont Ventoux pour les apnéistes et j’ai embrigadé Morgan Bourc’his et Florent Pascal. En bon compétiteurs que nous sommes, nous l’avons grimpé en mode course. Pas de chance pour moi, après 5km d’ascension, dans la partie encore facile, 500m avant le début de la grosse montée, j’ai crevé. J’ai perdu 10min à réparer. J’ai fait toute l’ascension seul. J’ai pu rattraper dans la dernière
partie Florent et Morgan , mais pas Nico. Je suis quand même super content car j’ai
réussi un temps correct (1h29 sans le temps de réparation) battant ainsi le record de mes
15 ans 2h07!!

FRANCE APNEE: D’une manière générale tu as besoin « de sortir de l’eau ». Est-ce que c’est pour mieux y retourner?
GUILLAUME:
La montagne est mon premier amour et a forgé mon caractère. Je trouve un équilibre dans la vie en oscillant entre altitude et profondeur, dans un besoin de verticalité. Je suis mal a l’aise dans l’horizontalité. Quand je passe trop de temps vers le bas, je recharge les batteries en prenant de l’altitude avec ski de fond, vélo, trail, randos, escalade. Des fois, j’ai juste besoin d’être en hauteur et la contemplation du relief depuis un sommet me nourrit et m’apaise.

FRANCE APNEE: Guillaume, tu viens de l’école niçoise et toute ta carrière s’est faite sur le circuit AIDA, pourtant aux yeux de tous tu incarnes l’apnée en générale. Tu te places au-delà des clivages. Comment vois-tu évoluer l’apnée française dans l’avenir? Penses-tu qu’il soit possible que l’apnée française soit unifiée?
GUILLAUME:
Bien sûr, je pense qu’il y a un terrain d’entente possible. Dans plusieurs pays déjà, les apnéistes parlent d’une même voix. Il y a dans tous les courants de belles énergies et des compétences complémentaires qui doivent s’unir dans l’intérêt de tous. Ce n’est jamais facile car tant que l’homme sera homme, la quête du pouvoir sera toujours au RDV. Pour moi, la situation est déjà bien meilleure et plus saine qu’il y a 15 ans. Donc nous allons vers le mieux. Le CIPA, bastion historique d’AIDA France, a accueilli les championnats de France en poids constant FFESSM. C’est un signe fort de la dynamique de rapprochement qui je l’espère va s’opérer dans le futur.

FRANCE APNEE: Dans moins de deux semaines auront lieu les championnats d’Europe CMAS à Tenerife. On sait que le chlore et toi ça fait deux mais vas-tu suivre ça de près? Rappelons qu’un autre niçois de ton club (le CIPA) qui porte le même prénom que toi y aura une belle carte à jouer!
GUILLAUME:
Bien sûr, je vais suivre ça de prêt, comme chaque compétition! Je suis les performances piscine avec beaucoup d’intérêt, mais presque comme si c’était un autre sport, tellement j’ai peu d’affinité avec le chlore comme pratiquant! Mais là on va suivre particulièrement les performances de notre poulain Racer (Guillaume Bussière). Il s’est entraîné très dur, avec une rigueur et une détermination incroyable. Je suis très admiratif de cette force. C’est un guerrier avec un potentiel énorme aussi bien en piscine qu’en mer. La clef de la réussite sera de rester concentré sur ce qu’il a à faire. les comptes seront faits à la fin.

Ecartons-nous de l’esprit compétition…

PART II : Guillaume Néry, au-delà de la perf’

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Dans la première partie de notre interview nous avions interrogé Guillaume Néry sur sa carrière sportive ainsi que sur le regard qu’il avait de l’apnée sportive. Aujourd’hui nous allons aborder avec lui l’autre face de sa vie de freediver, celle d’un aventurier qui a fait rêver des millions d’internautes depuis la sortie de la vidéo-buzz Free Fall réalisée par Julie Gautier en 2010 (vidéo qui a dépassée les 20 millions de vues sur youtube).
Guillaume Néry au-delà de la performance …

FRANCE APNEE: Cette année avec Julie Gautier, ta compagne, vous nous avez offert un court métrage très esthétique sur ton ressenti durant une perf en profondeur. Quels sont les retours que tu as eus depuis la sortie de Narcose?
GUILLAUME:
Nous avons eu des très bons retours. Avec Free Fall, il n’y a pas de lien avec le réel, on
est dans l’imaginaire. Avec Narcose le défi était de réaliser un film à la fois esthétique et le
plus fidèle possible à l’univers de la performance en profondeur. Depuis Julie a été
approché par l’univers du cinéma et de la pub. Narcose nous a donné une crédibilité
supplémentaire, après la révélation grâce à Free Fall.


FRANCE APNEE: Six mois après la sortie de ton livre « Profondeur » aux éditions Glénat, combien de dédicaces as-tu signées !? Plus sérieusement avec ce livre et la promo que tu as faite, il a été beaucoup question d’apnée dans les média. Est-ce que ce livre t’as permis d’ouvrir de nouvelles perspectives?

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GUILLAUME:
La sortie cumulée de Narcose et de mon livre a offert une promotion énorme à l’apnée et notre approche de la discipline. Les retours ne sont jamais immédiats et se font dans le temps. Il ne faut pas être pressé dans ce milieu ou une acte en efface une autre instantanément. Ce qui est sûr c’est que multiplier les projets, et les mener à bien, permet une crédibilité plus importante pour les projets à venir. En tout cas, le téléphone sonne beaucoup plus depuis quelques mois c’est sûr!

 

FRANCE APNEE: Tu as récemment assisté à Kitzbuel en Autriche à la présentation d’un long métrage intitulé « Attention, a life in extreme » de Sasha Köllnreitner dans lequel tu as une place importante. Peux-tu nous parler de ce film ?
GUILLAUME:
Ce film est un portrait croisé de 3 sportifs de l’extreme:
-Gerhard Gulewicz, un cycliste longue distance, qui participe chaque année la RAM (Race Across America), une course de la traversée la plus rapide des US
-Halvor Angvic, un base jumper qui saute avec sa wingsuit dans le vide.
-Moi même.
L’idée du film n’est pas de faire un étalage d’images extrêmes, toujours plus spectaculaires les unes que les autres, mais de comprendre notre psychologie, nos motivations, notre rapport à la société. C’est une réflexion très intéressante sur nos parcours. On voit mon évolution sur 3 ans, de mon titre de champion du monde individuel en 2011 à aujourd’hui.
C’est un documentaire pour le cinéma, et les images sont à la hauteur. J’espère vraiment que le film sortira en France en salle très vite!


FRANCE APNEE: A la fin du mois dernier tu es parti en Italie avec Morgan Bourc’His et Rémy Dubern pour plonger sur la plus grosse épave de Méditerranée: Le Haven! Nous avons pu voir un court sujet sur TF1 de vos plongées en apnée sur cette épave haute comme un immeuble de 50 mètres et longue de 300 mètres! Sans entrer dans les détails du tournage qui a duré trois jours, peux-tu nous raconter les sensations que tu as ressenties en plongeant sur un tel monstre d’acier ?
GUILLAUME:
C’est difficile de s’imaginer la taille de cette épave. Tout est démesurée. Je n’avais pas l’impression de plonger sur une épave, mais sur une citée engloutie. D’un point vue contemplatif, on a finalement pas eu vraiment le temps de profiter pleinement de la magie de l’endroit car nous étions très concentrés pour le tournage du film. Le tournage donne une magie supplémentaire à l’aventure car nous avions un objectif bien précis et nous nous sommes donnés les moyens de les atteindre, en composant avec les aléas des conditions météos et grâce à une équipe extraordinaire que je ne remercierais jamais
assez pour leur implication. Un remerciement spécial à Jérôme Espla, le cameraman de l’expédition, grand spécialiste de cette épave, qui m’a ouvert la voie de son jardin secret, ainsi que Felice du centre Techdiving Savona pour leur accueil.

>Vidéo de Benjamin Hortala, le safety freediver du tournage:


FRANCE APNEE: Tu nous as fait l’honneur de nous présenter ta nouvelle vidéo en cours de finalisation! Nous ne divulguerons rien mais peux-tu nous dire quand elle sortira et à quelle occasion? Aurais-tu un indice à donner en exclu à nos lecteurs sur le thème de la vidéo ?
GUILLAUME:
Nous avons hâte de la partager avec le public. Un indice, nous avons tourné les images en Polynésie, à Rangiroa. Le film sera assez court 3’30 max et on a essayé comme avec Free Fall de montrer une autre approche du milieu sous marin. Nous sommes en train de finaliser l’étalonnage et nous espérons la publier dans 1 mois! D’ici là, motus et bouche cousue, et je compte sur la coopération des lecteurs qui auraient pu assisté à une projection privée, pour ne rien dire pour l’instant!

FRANCE APNEE: Guillaume, on peut dire que tu as une vie de globe trotter (des tournages, des stages, des voyages tout au long de l’année aux quatre coins du monde…). Est-ce qu’un jour tu pourrais te poser quelque part et monter un « Néry Freediving Center » où tu transmettrais ta passion, ta philosophie de l’apnée ?
GUILLAUME:
Il y a déjà le CIPA, qui est l’héritage transmis d’année en année de la philosophie niçoise, dont je suis un prêcheur! Je fais quelques stages également, trop rares encore, car je n’ai pas assez de temps.Pour l’instant, je continue dans cette logique, et laisse la priorité aux films, car à travers eux, nous pouvons transmettre aussi beaucoup. Un jour, c’est certain, j’aspirerais à moins de vadrouille, et alors le Nery Freediving Center verra la jour.

FRANCE APNEE: traditionnellement à la fin de nos interviews, c’est « tribune libre » ! Aurais-tu un mot à adresser aux lecteurs de France Apnée ?
GUILLAUME:
Grâce à vous et à votre engouement, l’apnée se développe toujours plus. Alors n’oubliez pas de transmettre vous aussi les valeurs essentielles de notre passion: Ne jamais plonger seul, et ne courez pas après le chiffre à tout prix, la réussite passera par la quête personnelle des sensations.

Merci Guillaume Néry et à bientôt sur France Apnée !