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INTERVIEW [1/2] : Guillaume Néry et la compétition en profondeur


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Encouragé par les apnéistes français Morgan Bourc’His et Patrick Poggi, Guillaume Néry a décidé en décembre dernier de sortir de sa retraite internationale à l’occasion des championnats du monde AIDA qui se tiendront en septembre prochain à Nice. Trois ans après son éloignement des « tops officiels »  des compétitions d’apnée, le Niçois a décidé de tutoyer à nouveau la performance avec toutefois une approche différente. Nicolas Proquin s’est longuement entretenu avec Guillaume afin d’appréhender sa relation à l’apnée compétition. Ses motivations, son rapport à la profondeur, sa saison 2019, son regard sur l’apnée moderne, sa vision de la sécurité, les nouvelles générations … autant de sujets abordés sans concession dans cette interview exclusive que Guillaume Néry a accordée à France Apnée.

Guillaume, commençons par l’actu sportive de cette année dans le monde de l’apnée : ton retour à la compétition internationale. Qu’est-ce qui t’a conduit à rompre ta retraite sportive ? Est-ce un retour pour le moyen ou long terme ?

Ça me trottait dans la tête ! Mais ce n’est pas vrai retour; en 2018 j’étais au Nice Abyss Contest (ndlr : compétition du circuit AIDA à Nice) en maillot de bain avec un rapport assez détaché du résultat. C’était plus une expérience sur le corps et sur le mental. Je n’ai pas cherché le chiffre, mais je voulais tutoyer la zone des 100 mètres mais avec cette idée d’être à nu pour me reconnecter à l’essentiel et essayer d’apprivoiser cette dimension du froid. 2019 c’est dans la continuité sauf que là ce sera un championnat du monde et le fait que ça se passe à Nice, à la maison, ça m’a fait franchir le cap. J’en avais discuté avec mes amis Patrick Poggi et Morgan Bourc’His. Ils m’ont dit « on est chez nous, ce sera une fête ». Une grande fête d’autant que c’est Claude Chapuis qui organise.

Au-delà de l’aspect festif, il y aura le fait de continuer dans ce cheminement différent de la quête des records. Avant je participais à un championnat soit pour gagner soit pour battre le record du monde. Là ce sera de continuer d’être dans l’expérience.

Est-ce un retour à moyen ou long terme ? Si c’est dans l’optique de l’expérience ça se fera au coup par coup. Peut-être que je ferais une petite compétition tous les ans, peut-être que pendant deux ou trois ans je ne ferais plus de compétition. A vrai dire, j’en ai aucune idée.

Ce qui est sûr c’est qu’il y a un vrai changement. J’ai désormais un rapport décomplexé et avec la profondeur. Le mot compétition veut dire être compétitif, battre les autres. Là ce n’est plus ce qui m’anime.

Avais-tu déjà pensé à ce retour avant que Patrick Poggi te lance le défi ?

Oui, comme je l’ai dit précédemment, j’y avais pensé. On en parlait avec Morgan (ndlr : Bourc’His) et on se disait pourquoi pas. Mais j’attendais un déclic. Et la vidéo (ndlr : publiée sur facebook) de Patrick Poggi a été un vrai clin d’oeil. J’ai toujours aimé vivre des aventures de groupe avec les copains.

Lors des mondiaux 2015 à Chypre, tout le monde se souvient de ta plongée  » catastrophe » à 139m (voir notre interview du 10 septembre 2015). C’est d’ailleurs ta dernière perf’ internationale. Ton retour est-il un moyen de tirer un trait sur cette plongée ?

Oui, la plongée au Nice Abyss contest en 2018 a été déjà un moyen de tirer un trait sur cette plongée passée. Et cela de deux manières. D’abord c’était la première fois que je retournais officiellement à plus de 100 mètres. C’était une plongée engagée car j’y suis allé en maillot de bain et que le temps d’apnée était important. C’était un vrai challenge. Enfin l’approche était très différente. Je suis donc passé à autre chose et le retour en championnat du monde c’est pour continuer sur cette lancée.

http://www.franceapnee.com/actualites/interview-exclusive-de-guillaume-nery-apres-sa-descente-a-139m-je-nai-plus-envie-daller-profond-et-lincident-de-ce-matin-me-conforte-dans-cette-idee/

Lors de cette plongée tu tentais alors de battre le record du monde en plongeant pour 129m. Trois ans plus tard ce record n’est « que » de 130m.  Battre le record d’Alexey Molchanov pourrait-il être un objectif ?

Concernant le record du monde d’Alexey Molchanov, je ne m’enferme pas dans une fausse modestie. Je ne vais pas tirer volontairement le frein à main par rapport à ce record. Simplement, tel que ça se présente je n’ai pas d’envie ou de motivation particulière à aller atteindre le chiffre du record du monde. Je le dis avec beaucoup de sincérité. Je ne me lève plus le matin comme auparavant avec cette envie d’aller toujours plus bas, d’explorer en territoire inconnu. Cela ne fait plus partie aujourd’hui de ma motivation. Bien sûr, j’ai toujours envie d’aller chercher de nouvelles choses. Et plonger en maillot de bain ça a été une nouvelle expérience. Je ne sais pas ce que je vais aller chercher cette année mais ce qui est certain c’est que je vais continuer à explorer ce rapport à l’eau dans la profondeur. Pour moi, l’axe central n’est plus la quête du record du monde.

photo : Guillaume Néry par Costas Constantinou en 2015 à Chypres

photo : Guillaume Néry par Costas Constantinou en 2015 à Chypres

Revenons à ta plongée à 105m en maillot de bain dans une eau à 14° lors du NAC 2018. Ton niveau semble quasi intact. Est-ce que depuis trois ans tu as continué à t’entraîner plus ou moins sérieusement ? Penses-tu que le corps garde la mémoire de tes performances passées ?

Oui, en à peine deux mois d’entraînement sérieux en profondeur j’ai retrouvé un niveau à plus de 100 mètre. Je pense qu’avec une combinaison et deux semaines de plus je retrouvais les 115 mètres. Plonger sans combinaison ça a vraiment une incidence sur le temps d’apnée. Il n’y a pas du tout de glisse. J’ai mis quasiment le même temps pour faire 105 mètres en nageant très vite et aussi efficace que sur le 126 mètres (la plongée à -126m en 3’19 et celle à -105m en 3’20). Donc en temps d’apnée j’ai environ le même niveau. Peut-être qu’il me manquait un peu d’adaptation à la profondeur mais en tout cas j’en étais assez proche. Je pense effectivement que le corps garde en mémoire les performances passées du moment qu’on garde une bonne hygiène de vie et de continuer à s’entraîner, ce qui a été mon cas. Pendant trois ans j’ai continué à m’entraîner; certes en faisant un peu moins en profondeur mais tout en gardant un niveau de sollicitation physique important (préparation physique, cross fit, course, vélo et l’apnée régulièrement pour aller explorer le monde avec quelques sollicitations à plus de 60, 70 ou 80 mètres). Tout cela compte énormément, on n’efface pas 15 ou 20 ans d’entraînement intensif. L’apnée est un mode de vie et finalement je n’ai rien perdu tout.

la plongée à -105m en maillot de bain en 2018 à Nice (photo : M. Bourc'His)

la plongée à -105m en maillot de bain en 2018 à Nice (photo : M. Bourc’His)

As-tu déjà prévu de participer à plusieurs compétitions cette saison en guise de préparation pour les championnats du monde ? Des rendez-vous à nous annoncer ?

J’ai prévu de participer uniquement au Nice Abyss Contest. J’ai découvert avec surprise que ma longée à 105 mètres de l’an passé me permettait d’avoir une Wild Card. Donc je suis invité aux championnats du monde. Par conséquent je n’ai pas besoin de participer à une compétition cette année. Je participerai toutefois au Nice Abyss Contest car c’est à la maison. Ce sera également une répétition au même endroit (ndlr : en baie de Villefranche-sur-mer) et avec la même équipe. Ce ne sera que du plaisir.

Un mois avant les mondiaux AIDA de Nice se tiendront à Roatan les mondiaux CMAS. Est-ce que tu envisages d’y participer comme la plupart des champions du circuit AIDA qui rêvent d’un destin olympique ?

Non, je n’envisage pas de participer aux mondiaux CMAS de Roatan car je n’ai pas envie d’avoir plusieurs objectifs. Comme je le disais au début de l’interview j’ai surtout accepté de participer aux championnats du monde AIDA car c’est à la maison avec les copains. Je n’ai pas envie de participer à tous les championnats possibles.

Personnellement je ne cours pas après cette idée de participer aux Jeux Olympiques. Je vais donc rester fidèle à ce que j’avais prévu en faisant des mondiaux AIDA et me préparer durant l’été à Nice.

Depuis trois ans est-ce que tu as continué à suivre l’actualité des compétitions d’apnée ? Avec un peu de recul, quel regard portes-tu sur l’apnée mondiale d’aujourd’hui ?

Bien sûr, j’ai continué à suivre l’actualité de l’apnée ! Passionnante, superbe cette actualité ! On voit que l’apnée se développe vraiment très fort. Ces trois dernières années j’ai d’ailleurs trouvé que l’actualité la plus intéressante était chez les filles avec des progressions incroyables. Un magnifique trio qui s’affronte à plus de 100 mètre avec Alessia Zecchini, Alenka Artnik et Hanako Hirose. J’ai également suivi les performances des copains notamment celles de Morgan Bourc’His, Alice Modolo, Rémy Dubern, Alexey Molchanov, William Trubridge…

Je pense que le système Diveye a amené quelque chose d’extraordinaire pour le développement de l’apnée. C’est une vraie révolution ! L’apnée était sur une pente ascendante et Diveye a renforcé cette ascension d’autant qu’il y a plus d’attention aujourd’hui sur notre sport. Tout le monde peut désormais voir ce qui se passe au fond. C’est génial ! L’année dernière ça a en partie contribué à mon retour, j’avais envie de faire une perf à 100 mètres filmée par Diveye. J’avais une certaine frustration d’avoir arrêté sans avoir fait une belle plongée filmée par ce système. Et là je suis très content de savoir que l’équipe de Diveye sera à Nice pour les Championnats du monde AIDA.

photo T. Ceylan

le système Diveye

Je trouve que les performances sont assez belles et que les athlètes sont de plus en plus matures. On voit encore quelques comportements qui ne sont pas « cool » , mais globalement je trouve qu’il y a aujourd’hui beaucoup de jolis records, de belles performances qui sont faites avec un taux de déchets, de syncopes en baisse. C’est mon impression…

J’ajouterais que les compétitions d’apnée sont de très beaux rassemblements, et pas que les championnats du monde. Je trouve que les formats comme le Vertical Blue et d’autres compétitions qui se déroulent sur plusieurs jours sont de magnifiques moment où chaque athlète ne vient pas que pour lui mais pour être dans une grande fête. Personne ne vient pour battre l’autre. Tout le monde vient pour être dans une émulation. Je trouve génial qu’il y ait dans le monde de l’apnée cette idée où l’entraide est l’axe principal. Il y a peu de sport comme ça. C’est vraiment fantastique de voir que chacun vient battre son petit record tout en donnant de son énergie pour aider les autres.

En 2018, comme en 2015 sur les mondiaux AIDA, la question de la sécurité a été encore au coeur de l’actu avec notamment des mondiaux CMAS mis en cause (ndlr: le sauvetage raté d’un syncopé à grande profondeur). Quelle fut ta réaction ? As-tu des pistes pour améliorer la sécurité ?

Oui il y a eu de grosses « coquilles » mais je n’ai pas envie de rentrer dans ce jeu de dire qu’à la CMAS ils ont fait n’importe quoi. CMAS ou AIDA il y a parfois des accidents qui arrivent. Ce qu’il faut c’est grandir et professionnaliser l’apnée et ne jamais relâcher la vigilance. Il faut professionnaliser l’approche de la sécurité. Chaque poste est essentiel. Et la leçon à tirer c’est que le poste d’apnéiste de sécurité n’est pas un poste à prendre à la légère. Dans l’eau on ne doit pas avoir des gens déçus de la compétition ou des gens qui sont là parce qu’ils n’ont pas pu participer à la compétition. Il faut qu’on ait dans l’eau des experts c’est à dire des gens aussi performants que les compétiteurs. Aussi il va falloir à un moment donné professionnaliser ce sport. C’est ce qui est en train de se faire; on est sur la bonne voie!

Par ailleurs, il ne faudrait pas que les aspirations olympiques et la professionnalisation de la sécurité déresponsabilisent les compétiteurs. Il faut que chaque compétiteur ait un comportement responsable et intelligent. Tout le monde doit être professionnel; à la fois les organisateurs et les compétiteurs. La sécurité ce n’est pas que l’affaire des organisateurs mais c’est aussi l’affaire de chaque athlète; c’est notamment ce que m’a inculqué Claude Chapuis depuis toujours.

Safety Team_1

entraînement de la « safety team » pendant un Vertical Blue

Même s’il y a toujours les grandes figures incontournables sur le circuit mondial, une nouvelle génération arrive. Que penses-tu de ces nouveaux talents qui émergent comme le français Arnaud Jerald qui réalise un début de carrière très prometteur  ?

C’est formidable de voir ces nouvelles générations arriver! Cela veut dire que notre sport est en bonne santé. Arnaud Jerald a un talent extraordinaire. On discute régulièrement ensemble. C’est un garçon très ouvert et qui n’hésite pas à prendre des conseils auprès des anciens. Il a pris beaucoup de conseils auprès de Morgan Bourc’His. Ils m’appellent de temps en temps et c’est un vrai plaisir de pouvoir lui donner des conseils. C’est aussi pour ça que le championnat à Nice m’intéresse, c’est parce qu’il y aura le mélange entre les anciennes et les nouvelles générations. Et pour moi ce qui est important c’est que la nouvelle génération arrive à garder la tête sur les épaules parce que c’est dur aujourd’hui de commencer l’apnée en voyant les records si loins, si profonds. Pourtant il va falloir rester patient! Si j’ai un message à faire passer aux nouvelles générations c’est celui de la patience. Les profondeurs sont énormes et pourtant il faudra prendre le temps de progresser; ce sera la clé du succès sur le long terme.

Arnaud Jerald par Bill Rhamey

Arnaud Jerald (photo : Bill Rhamey)

Pour finir la première partie de notre entretien, aimerais-tu jouer le rôle d’un mentor auprès d’un jeune un peu comme Claude Chapuis lorsqu’il fut le tien ?

Devenir un mentor, pourquoi pas. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut aller chercher. Cela doit se faire naturellement, de manière spontanée. Cela dépendra de mon regard et de mon rapport avec l’apnée de compétition. Si je garde un pied dedans et si je vois toujours de l’intérêt avec la même passion, alors c’est quelque chose qui se fera tout seul. En revanche, si avec le temps je me détache de l’apnée compétition, peut-être que je n’aurais pas la force, ni l’énergie ou ni l’envie de le faire.

Aujourd’hui mon rôle de « transmetteur » je le fais différemment auprès du grand public. J’essaie de le toucher en amenant du rêve, de la magie avec les films, les livres et la photo.

Dans la deuxième partie de l’interview nous reviendrons sur ce rôle de « transmetteur » que Guillaume Néry a auprès du grand public…

"One breath around the world" le dernier film de Guillaume Néry & Julie Gautier

« One breath around the world » le dernier film de Guillaume Néry & Julie Gautier

 

Interview réalisée le 7 février 2019 par Nicolas Proquin pour France Apnée