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Des cerveaux à bout de souffle ? Les effets négatifs de l’apnée sportive sur le cerveau


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Des cerveaux à bout de souffle ?

À long terme, la pratique de l’apnée sportive pourrait avoir des effets négatifs sur certaines fonctions du cerveau

Par Jean Hamann

Pendant combien de temps pouvez-vous retenir votre souffle? Si le commun des mortels parvient de peine et de misère à tenir 45 secondes, les adeptes d’apnée sportive peuvent, après quelques mois d’entraînement, dépasser trois minutes. Le record mondial officiel de cette étrange discipline atteint même un époustouflant 11 minutes et 35 secondes! La pratique de cette activité, qui place à répétition les organes du corps en condition de sous-oxygénation (hypoxie), pourrait toutefois avoir des effets néfastes à long terme sur le cerveau, suggère une étude qui vient de paraître dans la revue Applied Physiology, Nutrition and Metabolism.

François Billaut, du Département de kinésiologie, et quatre chercheurs français arrivent à cette conclusion après avoir comparé les performances cognitives de 24 adeptes d’apnée à celles d’un groupe témoin composé de 12 étudiants en éducation physique sans expérience dans cette discipline. Les apnéistes avaient été subdivisés en deux catégories, les athlètes d’élite et les novices. La première regroupait des personnes qui avaient au moins deux ans d’expérience et qui pouvaient rester sous l’eau sans respirer pendant 6 minutes ou plus. La seconde était formée d’apnéistes ayant entre 6 et 12 mois d’expérience et pouvant tenir sous l’eau environ 3 minutes.

Les chercheurs ont soumis les participants à une batterie de tests neuropsychologiques. La plupart des analyses n’ont révélé aucune différence entre les trois groupes à l’exception du test de Stroop. Ce test consiste à introduire une information qui interfère avec l’exécution d’une tâche cognitive et de mesurer son effet sur le pourcentage d’erreurs et sur le temps d’exécution. Un exercice de Stroop bien connu consiste à nommer la couleur d’un mot qui est lui-même le nom d’une autre couleur (par exemple, le mot BLANC écrit en lettres rouges).

Les analyses des chercheurs révèlent que les plongeurs d’élite prennent plus de temps à terminer ce test et ils font plus d’erreurs que les sujets des deux autres groupes. Le temps requis pour réaliser ce test augmente en fonction du record personnel en apnée et en fonction du nombre d’années de pratique de cette discipline. Fait à noter, le seul participant dont le score suggérait la présence d’un problème pathologique était celui qui avait le plus d’années de pratique et qui avait réussi la meilleure performance en apnée.

Ces résultats confirment les études réalisées chez les apnéistes victimes de malaises pendant les compétitions. Près de 10% des concurrents sont victimes d’une perte de contrôle moteur, qui s’exprime par d’importants tremblements. De plus, 1% des concurrents poussent leurs limites au point de perdre connaissance. Il s’ensuit des problèmes neurologiques qui durent quelques jours. Les analyses sanguines effectuées sur ces personnes révèlent la présence des mêmes biomarqueurs que ceux qu’on retrouve chez les gens ayant subi un traumatisme crânien.

Les effets d’une pratique prolongée de l’apnée documentés par l’équipe du professeur Billaut viennent confirmer les effets observés après ces incidents. «Il semble y avoir un effet cumulatif de l’exposition du cerveau à des conditions hypoxiques sur certaines fonctions cognitives, résume le chercheur. Cet effet n’est pas dévastateur, mais il faut tout de même s’en préoccuper.»

L’apnée connaît une popularité exponentielle depuis quelques années. Le professeur Billaut estime qu’il est possible de pratiquer cette activité de façon sécuritaire si les participants sont encadrés par des entraîneurs qui ont reçu une formation adéquate, s’ils suivent les recommandations des associations qui chapeautent leur sport et s’ils respectent leurs propres limites. «Les personnes qui pratiquent l’apnée pour le plaisir doivent s’écouter et progresser selon leurs moyens. Mais l’humain étant ce qu’il est, il y aura toujours des athlètes qui voudront fracasser des records et repousser leurs limites.»

Les autres chercheurs qui ont participé à l’étude sont Patrice Gueit et Frédéric Lemaître, de l’Université de Rouen-Normandie, Sylvane Faure, de l’Université Nice-Sophia-Antipolis, et Guillaume Costalat, de l’Université de Picardie-Jules-Verne.

source : https://www.lefil.ulaval.ca/cerveaux-a-bout-de-souffle/