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Elie Boissin nous a quittés


reve d apnee

Elie Boissin, premier français recordman du monde d’apnée

Né le 18 août 1936 à Mazargues, un quartier de Marseille, Elie Boissin nous a quittés ce 30 décembre 2024. Elie était un amoureux de la vie. Champion cycliste dans ses jeunes années, plongeur chevronné, chasseur sous marin hors pair, navigateur, écrivain, peintre… il excellait dans tout ce qu’il entreprenait.

Elie a marqué aussi l’histoire de l’apnée française et mondiale puisqu’il fut le premier français à battre un record du monde d’apnée en poids constant. Elie a raconté son record dans son livre « Pour les beaux yeux d’une langouste ». Nous ne résistons à l’envie de partager avec vous les quelques pages de son livre. Nous en sommes le 18 août 1959, jour de son anniversaire, en Corse à Santa Giulia.

«  Comme l’on dit chez nous à Marseille, du côté de la mer, c’est tempête de bonasse ! pas une ride, pas la moindre houle, seuls les cormorans curieux de voir soudain autant de monde en même temps sur leur territoire […] C’est l’ heure ! Peu importe celle indiquée sur ma montre, de toute façon je ne peux plus reculer. A cet instant je me rends compte jusqu’où peut conduire une galéjade. Grosse blague ou non, je n’ai pas le droit de décevoir les amis, ils y croient au plus profond d’eux mêmes. Les deux plongeurs bouteille, agréés par la fédération Française d’Etude et de Sport Sous-marins, exercent non seulement ma sécurité mais remplissent la charge de juges officiels. Leurs signatures sur le papier attestant ma descente, et si record s’il y a, feront foi d’authenticité. Par la suite, il sera recueilli une cinquantaine de signatures par tous les plongeurs libres assistant à ma descente, depuis la surface. Témoins oubliés dans le temps mais heureux d’avoir été présents le 18 août pour mon … bon bref, ils y étaient ! Ne pas oublier que nous sommes en 1959 et, dans le domaine national, la plongée libre est complètement ignorée. Quant aux records de descentes, seuls les italiens y portent un certains intérêt. C’est pour tous les autres une curiosité innovante, y compris pour la fédération française qui n’a dans la bouche que le mot  »chasse sous-marine ».
Tu patere legem quam ipse fecisti ! (ndlr: souffre la loi que toi-même as dictée). Un officiel en short me demande au dernier moment la raison de mon changement de poids sur ma ceinture. Je lui explique, c’est pour moins forcer dans les quinze premiers mètres et éviter de m’essouffler.
Quelques minutes passent. Je me laisse glisser lentement dans l’eau, sa température est d’au moins vingt quatre degrés. J’aperçois dans le bleu de cristal, les bulles des deux plongeurs immergés depuis quelques minutes. […] Comme à l’entraînement, je fais de courtes apnées peu profondes suivies de respirations rapides afin d’éliminer la surventillation pouvant s’avérer fort dangereuse à la remontée. Au bout de cinq minutes, j’incline la tête vers mes deux moniteurs de plongée libre exerçant la sécurité de surface, juste pour signifier que la prochaine c’est la bonne. Je ne vois plus rien, je n’entends plus grands chose. Je repense à St Christophe et me semble apercevoir un sourire sur le visage de ma mère, à deux mille kilomètres de là.
Sans soulever la moindre écume je bascule et commence à palmer en essayant de conserver le rythme adopté aux entraînements. La corde défile à mes côtés, je n’ai pas le droit de la toucher ni en descendant, ni en remontant. […] Je suis tellement bien, j’ai l’impression d’être à l’air libre face aux pins de mes calanques sur lesquels s’égosillent les cigales.
C’est bon. Je commence à descendre sans aucun effort. J’accompagne simplement le mouvement de mes palmes qui glissent silencieusement.
Elle est là, la première plaquette, celle des trente mètres, je peux presque la toucher. Elle défile à côté de moi beaucoup trop vite à mon goût. Sans m’en rendre compte j’ai pris de la vitesse occasionnée le kilo supplémentaire, absent lors de mes entraînements.
La plaque des trente-cinq est déjà là. Un réflexe, dans un geste de survie me fait culbuter et me replacer dans le sens de la montée. J’ai beau palmer, je continue à descendre, et là, devant mes yeux le chiffre quarante défile devant mon masque. J’accélère mon mouvement de palmes, je force, je le sens dans mes cuisses. Enfin je me stabilise, et découvre mon ami Gérard me faisant signe de prendre une tablette. Je me tourne ne sachant plus où se trouve la corde. Tant pis pour le record, il faut que je remonte. Dans ma tête revient sans cesse le mot lentement, lentement, très lentement… oui encore plus lentement… et là une plaque passe à portée de ma main, je l’empoigne et je tire vers moi comme si je venais de récupérer un trésor.
Pendant toute la remontée, je repense à cette perte de mémoire au fond, ne sachant plus où j’étais pendant deux ou trois secondes, mais ces trois secondes-là, m’ont pas mal choqué.
Maintenant je ne suis plus très loin de la surface, j’ai repris tout mon calme mais je réalise vraiment avoir eu, au fond, un début de panique sachant, premièrement, qu’à partir d’une certaine profondeur j’étais descendu trop vite emporté par le kilo rajouté à mon lest, et, deuxièmement mon rythme cardiaque s’est bien trop accéléré quand j’ai perdu, entre quarante et quarante-cinq mètres, la corde de mes yeux.
Même maintenant je ne sais plus.
J’émerge, un peu trop vite, mais heureux, surtout de revoir le ciel.
Je retire mon tuba de la bouche, tends les bras avec la plaquette vers le bateau et presque dans un cri de joie je demande :
– » Combien ? … Combien…  »
il me semble entendre un chiffre bien loin de mes espérances :
-« c’est bon … c’est bon … tu as battu les italiens … 42 mètres… tu as le record ! »
-Ouf ! Soudain j’ai l’impression d’avoir la chair de poule … j’ai un peu froid.
Je nage vers l’échelle, je ne sais plus qui me retire mes palmes et quand je suis de nouveau sur le pont, tout le monde me prend dans les bras, m’embrasse, m’embrasse encore, sauf ma copine … je la vois arriver un sourire éclatant sur les lèvres, elle me tend une cigarette déjà allumée :
– »  Tiens ça va te détendre, fume tranquillement je me charge du reste ! »
Adorable créature qui a si bien tenu parole mais qui a j’en suis certain maintenant, oublié de me dire son véritable prénom.Alors pour dédier mon titre à la seul femme qui ne m’ait jamais menti, c’est à toi, qu’en silence je l’ai offert, toi ma mère. »  (extrait de « Pour les beaux yeux d’une langouste », pages 146 à 150)

France Apnée a perdu un ami mais il restera à jamais dans notre coeur.

En espérant que là-haut c’est « tempête de bonasse ». Repose en paix grand charmeur devant l’Eternel.

 

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